En tenant ces élections, les dirigeants communautaires tentent de prouver leur force et renouveler leur légitimité vis-à-vis de l’extérieur, laissant les banquiers continuer à effacer leurs pertes sur le compte de la société. Refusant de nous appauvrir davantage et de nous exiler plus nombreux, nous continuons à affronter ce régime. Un affrontement qui débuta en 2016 avec de multiples étapes depuis les campagnes de « L’état laïque » et « Où est notre Or ? », jusqu’à « Où est ta Caisse ? », pour la défense de notre dignité.
Nous abordons ces élections comme une occasion supplémentaire de multiplier les scènes d’affrontement dans le but d’exposer notre projet et nos propositions. C’est pour nous une occasion de contacts avec les gens pour gagner leur confiance en dépassant les slogans creux et les banalités pour aborder les véritables enjeux politiques, c’est-à-dire ceux de la vie quotidienne des citoyens. La situation que nous vivons aujourd’hui n’est pas une fatalité sans issue et n’est pas la fin du monde. Malgré sa dureté, elle constitue une occasion de tourner la page de 50 ans d’égarements, de violences et d’exils. Quelle que soit la difficulté, nous n’avons le choix que d’affronter ce pouvoir criminel dans ses composantes financières et politiques. Plus les chances du changement s’amenuisent, plus fortes sont notre volonté et notre conviction que nous sommes capables de transformer la crise en opportunité.
Le problème n’est pas seulement un problème de « pertes bancaires ». Les banques ont accumulé les pertes financières en liaison avec les dirigeants de la banque centrale sous la couverture complice des chefs communautaires. Mais ce sont des pertes qui touchent la société dans son ensemble, tant les épargnes individuelles que les caisses de protection sociale des corporations (retraites et services sociaux comme la santé et l’éducation). Ce sont des ressources dont bénéficient des milliers de membres des professions libérales et leurs familles ainsi que tous les résidents percevant leurs revenus en livres libanaises. Ces derniers sont les victimes du gonflement de la masse monétaire, de la planche à billets, car ils sont directement impactés par la baisse des taux de conversion, par la baisse de leur revenu réel et de leur pouvoir d’achat. Ce gonflement accompagné par les décrets douteux du gouverneur de la banque centrale visent à effacer les pertes des banques sur le compte de la société. Les pertes ne sont pas seulement celles des dépôts, fussent-ils en dollars ou en livres, elles touchent les candidats à l’exil, les entreprises en faillite et les employés qui perdent la valeur de leur salaire.
Dès la stabilisation des prix et des coûts, à travers l’imposition, il revient à l’Etat de diriger le revenu disponible autant que possible vers l’investissement productif et privilégier la demande sur la production locale au lieu de l’importation pour rétablir la balance commerciale et stopper l’exportation des ressources humaines. Cela contribuera à la réduction du déficit structurel et cumulatif dans la balance des paiements. Cela implique une réforme du système d’imposition d’une manière compatible avec les exigences de la période, qui récompense celui qui contribue par son travail et son investissement à l’édification d’une économie solide et équitable.
Il n’y a pas d’échappatoire à la confrontation du volet financier, en particulier des banques qui ont failli à leurs obligations contractuelles. Parmi les objectifs principaux de cette confrontation est la restructuration du système bancaire en direction des services demandés par la société, et cela avant la conclusion de toute négociation avec les créditeurs. Cette restructuration comprendra l’obligation pour les détenteurs des banques, chacun selon sa situation financière et ses responsabilités, de réparer les préjudices causés par le manquement à leurs obligations de sauvegarde des épargnes des déposants et des caisses, que se soit en devises étrangères ou en livres libanaises.
Nous ne sommes pas naïfs. La loi électorale taillée à leurs mesures, leurs outils habituels de soudoiement et d’extorsion, leurs tricheries et le silence de l’extérieur sur ces tricheries sont bien connus. Nous n’attendons pas du nouveau parlement qu’il se lance dans des travaux législatifs après sa profonde léthargie. Ce système n’est pas parlementaire. C’est un parlement de chefs communautaires, et d’un point de vue démocratique nous sommes contre ce qui se passe au nom de la démocratie. Nous avons besoin d’un gouvernement transitoire avec pouvoirs législatifs pour surmonter l’incapacité structurelle résultant du système de coopératives communautaires, surtout pour l’urgence que nous impose le traitement des conséquences de la faillite. Maintenant que nous sommes dans cette situation, pour être clairs et loin des promesses illusoires, il n’y a pas de moyens de traiter la crise de manière juste sans un gouvernement avec des prérogatives exceptionnelles.
Le FMI est une institution où domine le courant du sauvetage par des politiques d’austérité, d’élargissement des bases d’imposition, de libéralisation du commerce, du marché du travail et des lois de propriété, et de privatisations. Dans notre situation actuelle, le FMI est utilisé pour sauver les intérêts du volet financier et derrière lui le volet politique. Il n’y aura aucun soutien tant que les pertes ne seront pas clairement déterminées et leur distribution définie. S’imaginer qu’un accord avec le FMI est une planche de salut – sous un pouvoir incapable de définir les pertes et leur distribution selon une vision économique et sociale claire qui sauvegarde la société – est une illusion et une aventure irresponsable surtout si les secteurs vitaux (santé, éducation…) n’ont pas été préservés des mesures d’austérité.
Nous n’avons jamais été satisfaits par le système du fait accompli né à la suite de la guerre civile libanaise, ni aux temps des soudoiements ni à ceux des extorsions. Les pertes accumulées à ce jour sont la résultante de décennies de paris ratés et de présomptions dont les conséquences, qu’elles soient ou non reportées, sont connues et certaines. Le régime des chefs communautaires coalisés - bâti sur l’exil de la jeunesse et l’attraction des fortunes et leur distribution en bénéfices, et sur leurs allégeances à l’extérieur, sur le compte de la société - est en panne. Cette panne est liée à la panne du volet financier qui, aidé par le volet confessionnel, est en train de liquider la société, en liquidant ses ressources et ses biens publics, dans une tentative de reproduire un nouveau cadre au système, non moins dangereux.
C’est pour cela que nous refusons catégoriquement la réforme et la restauration de ce qui fut ! La circonstance impose la rupture et l’escalade de la confrontation et non l’intégration dans le cadre du système.
Le choix de l’Etat laïque n’est ni idéologique ni un slogan. La nature de la société libanaise empêche l’avènement d’un pouvoir de nature militaire oppressive, ou nationaliste ou religieuse. Le choix du non-état qui emprunte sa légitimité à la légitimité de chefs communautaires a échoué. Il a démontré son incapacité à constituer une société et préserver les intérêts des gens. Ainsi, la seule légitimité possible pour bâtir un Etat capable au Liban est la légitimité laïque qui résulte de sa capacité à octroyer des droits civiques, assurer les intérêts de la société et sa protection des dangers internes et externes, assurer sa stabilité économique et sociale, et gérer ses héritages et ses contradictions en sauvegardant une liberté de croyance absolue.
Il est devenu nécessaire de traiter avec la réalité des faits. Craindre cette réalité et vivre dans l’illusion des groupes et des communautés est ce qui nous a mené jusqu’ici. La proposition de la décentralisation dans le régime communautaire actuel proviendrait du besoin de conforter le rôle des chefs communautaires dans leur région. La décentralisation est un remède qui traite les symptômes et ne peut pas être considérée comme une solution. La crise libanaise caractérisée par une impossibilité de prise de décision, par une faillite financière et bancaire, par une crise de la dette et une crise de relations avec l’extérieur ne peut être traitée sans un état et un pouvoir centralisé de légitimité laïque. Le point de départ pour fonder cet État est sa capacité à traiter avec la réalité des faits, à octroyer des droits civiques, à recenser les résidents effectifs pour procéder après cela à la distribution des responsabilités suivant la distribution des ressources et de manière équilibrée. L’objectif est d’utiliser la globalité des possibilités pour renforcer l’efficacité et la capacité de l’Etat et sa compétitivité dans son environnement.
La décentralisation est simplement une des dispositions utilisées par l’Etat pour organiser les opérations en son sein. En conséquence, elle n’est ni bonne ni mauvaise dans l’absolu. Son avantage se base sur la proximité des agents chargés de la collecte des impôts et de l’octroi des services pour renforcer leur implication et leur surveillance. Cela suppose forcément trois conditions : que la décentralisation se base sur les résidents effectifs dans les secteurs concernés, que ces unités soient équilibrées du point de vue des ressources et des besoins de la population, et surtout que l’Etat chargé des politiques publiques, dont la distribution des tâches, soit efficace et compétent.
La protection de la société et de ses membres et la préservation de leur dignité est une des bases pour la construction d’une économie productive et solide, et c’est une condition préalable pour la stabilité financière. L’effondrement du secteur de la santé et des revenus des gens et la faillite des caisses de prévoyance et de retraite, la nécessité d’établir un système nouveau qui rompe la relation clientéliste entre le chef communautaire et son « public », l’établissement de droits essentiels, toutes ces raisons imposent la mise en place de la couverture santé universelle comme priorité dans la phase de redressement quelque soit la faiblesse des réserves restantes. Car ces droits construisent l’avenir, et assurent les conditions sociales pour la dignité des résidents.
Notre but est que le système éducatif remplisse des missions précises dont : conforter la légitimité laïque de l’Etat, développer l’esprit critique, dynamiser la liberté de pensée, produire le savoir, développer les capacités à gérer la demande et accompagner l’opération de transition à travers l’intégration de la formation continue. Les conséquences sociales de la crise nous permettent de rediriger l’éducation vers ses rôles économiques et politiques. L’éducation primaire et secondaire devient obligatoire et gratuite, quitte à ce que l'État couvre les frais de l’éducation privée sous contrat contre son engagement de suivre un programme unique et d’assurer les conditions de la mixité sociale et communautaire. Les établissements éducatifs hors contrat seront traités comme des sociétés commerciales. L’éducation supérieure sera restructurée pour répondre aux besoins de la transformation économique.
Les 6 chefs communautaires portent la responsabilité directe de la dilapidation des ressources et de l'attribution de profits à Israël. Cela n’est pas nouveau pour un pouvoir qui fut incapable de protéger ses ressources naturelles et financières en les dilapidant dans la « répartition », première responsable de la panne du système politique. A nouveau, les chefs se disputent la répartition des réserves de pétrole et de gaz dans le but de vendre au gens le faux espoir d’un retour à « l’abondance » et pour réactiver leurs canaux clientélistes dans l’espoir que ce gaz assurera la survie de leur système. Pour nous, le pétrole est un moyen de bâtir une économie réelle. C’est un devoir pour toute autorité de légitimité laïque, et c'est un besoin qu’elle a pour renforcer cette légitimité, de déployer le maximum d’efforts pour assurer le maximum de profits pour la société.
Les relations entre les États sont des relations d’intérêt. Elles ne se limitent pas à des relations d’amitié ou de fraternité. En conséquence, la partie qui a l’exclusivité de la responsabilité de ces relations et de ces intérêts est l’Etat. L’Etat est l’outil qui traite avec l’extérieur en tant qu’extérieur pour réaliser les intérêts de l’intérieur, tout l’intérieur, en mesurant les dangers et les conséquences. En général les aides viennent pour l’intérêt du créditeur d’abord, même si elles passent par les organismes étatiques. Le plus important est de mesurer les avantages et l’équilibre entre les intérêts du créditeur et du débiteur, sachant que l’aide extérieure sous condition et répétitive n’est pas une solution pérenne. Le financement est une arme pour les chefs pour attirer l’argent et le répartir, et un moyen de se renforcer à l’intérieur. L’alternative est d’établir les droits. Toute aide extérieure est une ressource que l'État distribue pour renforcer les droits acquis par les citoyens, dans le cadre de son budget public.
Il n’est pas acceptable que le Liban soit dans une position de l’observateur qui subit dans les négociations autour de la question syrienne. Il doit être parmi les parties. Car le sort du Liban est intimement lié à celui de la Syrie, pour des considérations de géographie, de démographie, des réfugiés, et de l’interdépendance économique et financière entre les deux pays. L’intérêt du Liban est de bâtir une relation saine avec la Syrie en tant qu'État extérieur, régie par des intérêts communs, et que l’Etat syrien soit fort et unifié et que son devoir premier soit la protection de la société, un État qui garantisse la liberté politique et économique.
L’approche de la question des réfugiés ne sera ni par le côté humanitaire ni bien sûr par le côté politique mesquin de l’incitation raciste contre leur présence. C’est un devoir que de mettre en place des solutions sur la base d’une lecture réaliste et non imaginaire de la question de refuge. Ces solutions doivent sauvegarder les intérêts du Liban et protéger sa société et en contrepartie protéger les droits objectifs des réfugiés, avant tout les droits à la santé et à l’éducation. Le poids de l’exode se transforme ainsi en un élément dynamique dans la construction d’une économie solide et productive
Durant les dernières décennies, les relations avec les États de la région ont été déséquilibrées. Elles se sont traduites par des interventions profondes au niveau du pouvoir et de la société, sous différentes formes. Tandis que ces États poursuivaient leurs intérêts et consolidaient leurs positions comme le font tous les États dans leurs politiques étrangères, les six chefs communautaires cherchaient à « satisfaire » chacun l'État protecteur qui le finançait. Ils finissaient par se comporter en délégués de ces États, travaillant à exécuter leurs intérêts au lieu de représenter et protéger les intérêts du Liban. Cela s’est traduit par un interventionnisme insolent de ces États, qu’on ne peut leur reprocher, mais dont sont coupables ceux qui étaient chargés de protéger les libanais et leurs intérêts.
Nous considérons que la société libanaise, représentée par un état capable de défendre ses intérêts avant tout, a l’opportunité de construire des relations commerciales, politiques et culturelles équilibrées avec les États de la région. Notre économie aura sa part dans les marchés que ces pays ont avec les marchés mondiaux et nous nous attacherons à évaluer les intérêts et les opportunités qu’auront ces pays dans le nôtre.
L’Etat laïque que nous voulons qui veut protéger les libanais comme une seule société et non un ensemble de sociétés cherchera à réaliser les gains d’une communauté d'intérêts avec un pays étranger que pourrait engendrer une circonstance politique. C’est la base même du travail politique pour tout État dans la définition de sa politique étrangère.
Le Liban ne sera pas neutre lorsqu’il s’agira de défendre ses intérêts économiques, sa sécurité, la sécurité des libanais et celle des populations résidant sur son sol. Nous sommes parmi les acteurs et non des spectateurs dans ce qui se prépare pour la région et pour le Liban. Nous chercherons à être une des parties de ces négociations, et non un simple objet sur cette table.
Que la Résistance soit dévolue à une seule communauté met en doute les objectifs nationaux de cette résistance tout comme les sacrifices de cette communauté, dans le contexte libanais de l’affrontement inter-communautaire permanent. Notre position est d’utiliser toutes les potentialités et tous les atouts de notre pays, que ce soit les relations et les compétences accumulées par les libanais à l’intérieur comme à l’extérieur dans les secteurs du commerce et de l’industrie comme dans les domaines militaires, au service d’un projet national commun et unique. Notre position et notre projet national se fondent sur l’exploitation de toutes les réussites et les capacités de la société pour bâtir un État capable, y compris celles de groupes communautaires. En conséquence, nous ne considérons pas que les capacités et réussites militaires accomplies par le Hezbollah soient un handicap pour le Liban. Dans le processus de construction de l’Etat, ces ressources et capacités peuvent devenir des atouts pour édifier un état qui défende ses enfants des dangers, des défis et des interférences étrangères dont le danger expansionniste et partitioniste du projet sioniste. En fondant ces capacités dans un projet d’unité nationale de défense des droits civiques qui traite la société libanaise comme un tout indivisible, nous créerons l’antithèse du projet sioniste raciste et partitionniste.
Nous sommes parfaitement conscients du coût exorbitant de l'état de guerre avec le projet sioniste. Plus que simplement sentimentale, cette position est politique : le projet sioniste constitue une menace réelle pour la société. Elle n’est pas un slogan, mais un projet se traduisant par des politiques publiques qui défendent la société contre l’agression israélienne sur l'économie, la politique, l’environnement, l’eau, et les ressources du Liban.